Au vers 9 de la citation récupérée de Parménide classée comme “fragment 6” par Hermann Diels,1 il est question d’un “chemin palíntropos (παλíντροπος κέλευθος)”, qui décrirait soit la démarche hésitante des “mortels”, qui sont le sujet des vers précédents (à partir de 6.4), soit l’ensemble des choses, telles qu’ils les conçoivent. Or, comme l’adjectif palíntropos signifie, grosso modo —nous verrons en détail ce passage— “ce qui revient au point de départ” (L.S.J. 1968, “turning back”), il suffit de regarder une autre citation de Parménide, celle conservée comme fragment 5, pour attribuer l’adjectif palíntropos à la “méthode” de la Déesse: “Mais il est commun (ξυνόν δέ) pour moi où (ὁππόθεν)2 je commence, car j’y reviendrai à nouveau (πάλιν)”. Notre travail pourrait finir ici —et l’éventuel lecteur serait ravi— car nous avons démontré la pertinence de son intitulé: la Déesse elle-même avoue que son chemin est παλíν-τροπος. Mais, comme 99,9 % des travaux consacrés à Parménide soutiennent le contraire, nous devons justifier notre position.
Comme on le sait, moyennant un très subtil jeu de mots, Platon avait dit qu’il avait honte d’examiner cet “être unique”, ou “être un” (ἕνα ὄντα, Pl., Théétète, 183e5, ed. 1995) qui est Parménide. Ceci n’a pas empêché que, malgré lui, Parménide soit devenu “multiple” dans la plume —aujourd’hui, dans l’ordinateur— de chaque chercheur qui s’est consacré à son étude. Par conséquent, avant de nous occuper en détail de notre sujet, nous croyons opportun de présenter, en quelques mots, “notre” Parménide.
Comme tous ses rares prédécesseurs, Parménide était un sage qui, en plus d’être un connaisseur dans le domaine auquel il avait consacré ses recherches (dans son cas, la santé, car, apparemment, il était médecin), il a essayé de s’expliquer qu’est-ce que “la réalité” en général (πάντα τὰ ὄντα) et notamment ce qui fait qu’elle soit ce qu’elle est, sa φύσις. (À propos des premiers philosophes Aristote parlera des “premiers principes et des premières causes” de la φύσις.) Mais par rapport à ceux qui avaient “philosophé” avant lui, Parménide introduit deux “nouveautés” qui vont rester pour toujours comme les piliers du nouveau regard sur la réalité qui est en train de naître et qui s’appellera “philosophie”: (a) la certitude selon laquelle, s’il y a des ὄντα (qui pourrait le nier?) c’est parce qu’il y a εἶναι;3 et (b) la nécessité de suivre une “méthode” pour arriver à connaître la réalité (= le fondement) des choses.
Les très étroits limites de cet article nous empêchent de nous occuper de la première question.4 En revanche, nous essaierons de justifier la deuxième.
Il est indéniable que, comme Aristote a écrit au début du traité connu comme Métaphysique, A.1.980a21, ed. 1957: “tous les êtres humains, par nature, ont le désir de savoir”. Mais ce “naturel philosophe” (comme l’appelle Monique Dixsaut, en s’inspirant de Platon),5 doit placer ce désir de savoir à l’intérieur d’un chemin, car s’il avance au hasard, à l’aveuglette, il n’arrivera jamais à son but: la connaissance. Dire que la recherche philosophique doit être acheminée signifie qu’elle doit suivre une méthode. Littéralement, “méthode” veut dire “être au milieu (μετά) d’un chemin (ὁδός)”.6 C’est la notion de “chemin”, qui apparaît vingt et une fois dans les citations récupérées de son Poème,7 représentée par plusieurs mots,8 qui conditionne l’histoire moyennant laquelle Parménide expose sa philosophie: le cours (tout cours est un par-cours) donné par une maîtresse de philosophie9 à quelqu’un qui veut devenir un “homme qui sait (εἰδὼς φώς, 1.3)”.
Exposer ses idées par le moyen d’un poème didactique n’est pas une exclusivité parménidienne. Déjà avant lui Hésiode avait écrit les Travaux pour donner une leçon de morale à son frère Persès; quelques années après Empédocle offrira un “cours de philosophie” à Pausanias; et, quand la philosophie aura adoptée aussi le latin pour s’exprimer, Lucrèce s’adressera à son ami Memmius. Mais, dans tous les cas, le philosophe profitait du pouvoir didactique de la poésie10 pour transmettre sa propre pensée. Le cas de Parménide est différent. Il montre que, tout en étant indispensable pour atteindre la connaissance, la méthode peut rater sa cible et arriver à des conclusions erronées, voire illusoires. Autrement dit, il a deux sortes de méthode: la bonne et la mauvaise. Et le Poème expose ces deux manières d’envisager la recherche. La Déesse fait une véritable promotion de la bonne méthode, cela va de soi, mais elle expose aussi la méthode incorrecte, afin que l’auditeur de sa “leçon” de philosophie puisse l’éviter. Un maître véritable doit montrer aussi le danger de suivre une voie qui mène nulle part.
Ce schéma dichotomique qui consiste à présenter deux possibilités et à ne retenir qu’une, est le noyau du Poème. Trois passages du fr. 8 exposent cette procédure: “il faut être totalement, ou ne pas [être] (πάμπαν πελέναι [...] ἤ οὐχί, 8.11)”; “la décision est la suivante: on est ou on n’est pas (ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν, 8.16)”; “l’un [des chemins] n’est pas vrai (οὐ γὰρ ἀληθής ἔστιν ὁδός), et l’autre existe et est authentique (τὴν δ’ ὥστε πέλειν καὶ ἐτήτθμον εἶναι, 8.17-18)”. Comme nous essaierons de montrer, ce même schéma se trouve dans la description des deux chemins opposés du fr. 6.
Au début de ce travail nous avons dit que Parménide, comme tous ses rares prédécesseurs, avait essayé d’expliquer qu’est-ce qu’est “la réalité” en général (πάντα τὰ ὄντα) et notamment ce qui fait qu’elle soit ce qu’elle est. Or, il utilise le schéma dichotomique que nous venons de regarder pour présenter deux manières possibles d’envisager cette recherche. Il ne faut pas oublier que le mot “ὁδός” signifie déjà à l’époque de Parménide non seulement “chemin”, “voie”, mais aussi “manière”,11 et, avec l’image de deux “chemins”, il montre à son lecteur/auditeur qu’il y a deux manières d’envisager la connaissance: la bonne… et la mauvaise. Or, comme le Poème raconte un enseignement, ceci suppose la présence d’un élève ainsi que celle d’un maître.
Voyons d’une façon plus détaillée ces deux manières d’expliquer la réalité de τὰ ὄντα. Nous avons utilisé plusieurs fois la notion de “méthode” (= chemin). C’est précisément le fait de suivre (ou de ne pas suivre) un chemin, c’est-à-dire, d’utiliser une méthode, qui conduira à la manière correcte d’expliquer (ou non) le noyau de la réalité. La bonne manière sera capable d’élaborer un discours (λόγος) digne de foi (πιστόν, 8.50), persuasif (il est un πειθοῦς κέλευθος, 2.4), car il est accompagné,12 dans son acheminement, par la vérité (ἀληθείῃ, 2.4). La manière erronée de chercher suit, elle aussi, un chemin, mais celui-ci n’est pas une “manière” (= une méthode) de chercher; elle n’est qu’un sentier battu par les hommes (ἀνθρώποι [...] πάτος, 1.27),13 une piste (ἀταρπός)14 vide de sens (παναπευθέα),15 chaotique, qui —nous le verrons— aboutit à des résultats contradictoires. Au lieu de produire des “vérités”, ceux qui suivent ce mauvais chemin n’élaborent que des “opinions” (δόξαι).
Commençons par examiner les précisions apportées par Parménide à propos de cette voie erronée et stérile, qu’il expose à l’apprenti-philosophe afin qu’il puisse la reconnaître et, ainsi, l’éviter.16 Tout ce que l’on peut dire sur cette mauvaise méthode se trouve seulement dans quelques mots des rares fragments récupérés du Poème. Très curieusement, les commentateurs et les doxographes en général ne disent rien sur le caractère pernicieux des “opinions”17 et sur l’incapacité de ses auteurs. Il ne faut pas faire une recherche approfondie pour expliquer ce silence: tous les doxographes dépendent d’Aristote (directement ou via Théophraste), qui, dans un passage souvent cité de la Métaphysique, 986b31, ed. 1957, avait écrit que Parménide, “obligé de suivre les phénomènes (ἀναγκαζόμενος δ’ ἀκολουθεῖν τοῖς φαινόμενοις) avait affirmé que […] selon la sensation, l’être est multiple et, en conséquence, proposa deux causes ou deux principes, la chaleur et le froid, c’est-à-dire, le feu et la terre, et plaça l’un, la chaleur, comme être, et l’autre comme non-être”.18 Comme ces “principes” sont le fondement des “opinions”, depuis Aristote19 on croit que les “opinions” représentent la pensée de Parménide, et ne sont pas —comme dit Parménide!— un ensemble trompeur (ἀπατηλόν, 8.52) de mots élaborés par des gens qui “ne savent rien” (6.5).
Nous avons dit que cette voie bâtit des “opinions”, et leurs auteurs sont appelés, par Parménide, les “mortels” (βροτοί: 1.30, 6.4, 8.39, 8.61) ou directement “les hommes” (ἀνθρώποι: 1.27, 19.3). Et pour justifier le caractère auto-contradictoire et trompeur des opinions, la Déesse consacre huit vers (6.4-8 + 7.3-5)20 à la description de ses “fabricants”. Voici un résumé: ils ne savent rien (εἰδότες οὐδέν; on peut traduire aussi: “ils savent rien”), ils ont deux têtes21 (ce qui produit chez eux des sensations doubles), et leur intellect vagabond, dans leur poitrine, est dirigé par l’incapacité (ἀμηχανίη, 6.5). Comme conséquence de cet état, ils sont entraînés comme s’ils étaient aveugles et sourds, étourdis, victimes d’une Μοῖρα κακή (1.26) à laquelle ils ne peuvent pas échapper; ils sont incapables de mener à bien une décision (ils font partie d’une ἄκριτα φῦλα, 6.7), et, en raison de tout cela, ils croient qu’être et ne pas être sont la même chose et non la même. Étant donné cette description, la Déesse ordonne à son auditeur de s’écarter de ce chemin (fr. 7.2) afin que l’habitude invétérée ne l’oblige pas, comme à ces gens-là, à regarder la réalité avec des yeux qui ne voient pas, car ils voient double (cf. δίκρανοι, 6.5) et à faire confiance à des oreilles qui n’écoutent qu’un écho (car elles entendent doublement). Il est certain que cette “manière” (chemin, méthode) d’expliquer la réalité n’est pas valable. Il faut suivre l’autre chemin.
Nous insistons sur la notion de “chemin” car Parménide, fidèle à sa méthode, décrit, en réalité, l’errance de cette foule inapte et maladroite en fonction de leur manière d’ “acheminer” leur pensée. Et, comme on le verra, dans le même passage (vers 6.4-7.2) il profitera de ce détail pour opposer ce chemin à celui de la Déesse. Autrement dit, Parménide reprends ici l’opposition entre les deux “chemins pour penser” (ὁδοὶ νοῆσαι) en fonction des usagers: les mortels qui ne savent rien, et qui marchent à l’aveuglette, et la Déesse, qui emprunte un chemin très précis.
Les “mortels” sont “entraînés” (φοροῦνται) le long d’un “sentier battu” (πάτος, 1.27), éloigné de l’autre chemin, qui est une véritable autoroute (ἀμαξιτός, 1.21) et leur νόος est guidé (ἰθύνει) par l’incapacité.22 Leur attitude est totalement passive. Ils se laissent entraîner, comme des automates, car ils sont incapables de réfléchir. Ils sont drogués par l’ ἀμηχανίη, mot qui est traduit par “irrésolution” par Marcel Conche,23 et, pour expliquer la réalité, ils adoptent la solution la plus commode: ils suivent “ce que l’on dit”, l’habitude quotidienne, qui consiste a ouvrir les yeux (même s’ils voient mal) et constater qu’après le jour vient la nuit, et vice-versa. Ergo, jour et nuit sont deux réalités indéniables, et elles suffissent pour expliquer la réalité.24 Mais le mortels ne voient pas que la nuit et le jour sont et ne sont pas en même temps (elles se succèdent dans un certain endroit, mais sont simultanées dans deux endroits différents; quand il fait jour en Orient, il fait nuit en Occident). Lumière et nuit son la même chose et non la même chose. Si le mot existait en Grec (en tout cas, il n’est pas attesté), on pourrait dire que les mortels parcourent un chemin “ἐναντιóτροπος”. Le chemin de la Déesse, en revanche, celui qui est le seul capable d’expliquer “toutes choses”, est un chemin παλίντροπος.
Déjà au fr. 1, moyennant des images, Parménide avait souligné que le chemin qui suivra l’apprenti-philosophe “se trouve en dehors du chemin des hommes”. Le voyageur ne sera pas entraîné, mais guidé, et ceci “aussi loin qui le veut son θυμός” (1.1.), sa volonté. Il est protégé par deux divinités, Thémis et Diké, et, comme il est vraiment passionné par sa recherche, il a le droit d’emprunter ce chemin: la très sévère Diké lui permet de rentrer dans le domaine d’une Déesse qui jouera le rôle de maîtresse de philosophie.
Nous avons dit que le jeune homme était “guidé”. Les divinités conductrices étaient les Filles du Soleil, les Héliades, et celles-ci, comme les chevaux attelés à son char, connaissaient (ces chevaux sont πολύφραστοι) le chemin. Grâce à ce voyage bien acheminé, le jeune homme ne souffrira pas la fin tragique de Phaëton, le frère des Héliades. Certainement Parménide connaît ce mythe (même si les récits qui l’ont mis par écrit sont très postérieurs à l’élaboration de son Poème) qui est un antécédent direct du type de voyage interdit. En effet, Phaëton, qui, tout en étant le fils du Soleil, est un “mortel”,25 prétend conduire le char du soleil (contrairement à l’auditeur de la Déesse, il n’avait pas le droit de le faire), mais il ignore le chemin, il avance à l’aveuglette, et, enfin, il doit être foudroyé par Zeus. Chez Parménide, les Héliades, afin de ne pas pleurer in aeternum comme elles ont fait lors de la perte de Phaëton, décident d’indiquer le chemin (ὁδὸν ἡγεμόνευον, 1.5) au jeune voyageur, et c’est grâce à cette conduite qu’il peut arriver au domaine (δῶμα, 1.25) de la Déesse.
Nous avons caractérisé, d’une manière générale, aussi bien les usagers des deux chemins de recherche, a priori (car l’un sera supprimé) possibles (les “mortels” et l’apprenti-philosophe), ainsi que leurs “guides” (les Héliades d’abord, la Déesse elle même après, et, de l’autre côté, l’ ἀμηχανίη). Essayons maintenant de répondre à l’intitulé de notre travail, qui concerne le chemin considéré παλίντροπος au vers 6.9.
Au fr. 2 Parménide avait présenté le contenu des seuls chemins que la pensée pouvait, a priori, emprunter (dont l’un sera abandonné au vers 7.2). Chaque chemin avait comme point de départ une sorte d’axiome,26 à partir duquel la pensée déduirait certaines conclusions, après avoir parcouru certaines étapes. L’axiome qui permettra la Déesse d’élaborer un discours convaincant (πιστὸν λόγον, 8.50) est présenté dans l’énigmatique vers 2.3: “[on] est, et ne pas être n’est pas possible (ἔστιν τε καί ὡς οὐκ ἐστι μὴ εἶναι). L’axiome qui correspond au chemin qui sera, en définitive, une impasse, soutient le contraire: “[on] n’est pas, et ne pas être est nécessaire (ὡς οὐκ ἐστι τε καὶ ὡς χρεών ἐστι μὴ εἶναι)” (2.5).
Le lecteur éventuel de ce travail aura saisi que nous avons résolu d’une manière très succincte l’épineux problème du “sujet” de 2.3a et de 2.5a. Si nous avons eu recours à l’ “impersonnel” “on” c’est parce que, selon notre interprétation de Parménide (que nous ne pouvons pas développer ici), son εἶναι a une valeur totale et absolue, donc, il est valable pour “tout” (car tout ce qui existe, est: “il n’y pas des étants qui ne soient pas”, εἶναι μὴ ἐόντα, 7.1), et un sujet particulier aurait réduit sa valeur. Mais s’il faut à tout prix chercher un “sujet” pour les deux premiers hémistiches (2.3a et 2.5a) il suffit de supprimer la double négation du vers 2.3b pour le trouver. S’il en est ainsi, “οὐκ ἐστι μὴ εἶναι” (2.3b), supprimés “οὐκ” et “μὴ”, devient directement “ἐστι εἶναι”, ce qui répète le sens du premier hémistiche (2.3a), maintenant avec un “sujet”: εἶναι. Si cette possibilité est acceptée, le premier chemin affirmerait “ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι”, et le deuxième “οὐκ ἐστιν <εἶναι> τε καὶ χρεών ἐστι μὴ εἶναι”. Les traductions éventuelles seraient, par conséquence, “il y a être (ou “être est possible”) et ne pas être n’est pas possible (2.3) et “il n’y pas être (ou “il n’est pas possible qu’il y ait être”) et ne pas être est nécessaire” (2.5).
À partir de l’ “axiome” “ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι”, qui sera repris au début du fr. 6 (passage qui aurait dû nécessairement se trouver après le fr. 2 dans la version originelle du Poème) par la formule “ἐστι γὰρ εἶναι (6.1b), μηδὲν [synonyme de μὴ εἶναι] δ’ οὐκ ἔστιν (6.2a)”, que la Déesse ordonne d’énoncer (τὰ γ’ἐγὼ φράζεσθαι ἄνωγα, 6.2), elle élabore le πιστόν λόγον qui se termine au vers 8.50 et qui est, comme nous l’avons déjà dit, un ὁδός “qui existe et qui est authentique (πέλειν τε καὶ ἐτήτυμον εἶναι, 8.18)”.
L’autre “axiome”, en revanche, “οὐκ ἐστι <εἶναι> τε καὶ χρεών ἐστι μὴ εἶναι” (2.5), qui est le fondement des “opinions des mortels”, est le résultat d’une pensée vagabonde, d’une expérience sensible erronée (ou pourrait dire, des sensations “insensibles”), qui s’achemine au hasard le long d’une piste ἀνόητον ἀνώνυμον (8.17) qui n’est pas vraie (οὐ γὰρ ἀληθής ἔστιν ὁδός, 8.17-8). Ce chemin a été fabriqué de toutes pièces par “les mortels qui ne savent rien” (6.5), des gens incapables de distinguer (ils sont une ἄ-κριτα φῦλα, 6.7) ce qui est et ce qui n’est pas (6.8-9), car, pour eux, comme dit l’axiome de 2.5, il n’y a pas d’être et, en conséquence, il est nécessaire de ne pas être. La négation de l’état d’être entraîne automatiquement la “présence” de son opposé, car, s’il n’y a pas d’être, il y a non être. Être et non être sont y ne sont pas à la fois.
Le moment est venu de nous occuper du sujet annoncé dans l’intitulé de ce travail, le παλίντροπος κέλευθος du vers 6.9. Nous avons dit à la Note 8 que les cinq mots utilisés dans le Poème pour signifier la notion de “chemin” (ὁδός, ἀταρπός, πάτος, κέλευθος y ἀμαξιτός) n’étaient pas forcément des synonymes. Regardons le cas de κέλευθος qui, comme nous l’avons dit supra, est cité en trois occasions. Dans la présentation allégorique des deux chemins, κέλευθος, au fr. 1.11 avance la notion de ὁδός qui sera précisée au fr. 2. En effet, dans ce passage le voyageur arrive à l’endroit où se trouvent les portes des κέλευθοι de la nuit et du jour,27 chemins qui seront précisés exhaustivement au fr. 2. Dans sa deuxième utilisation, déjà au fr. 2, κέλευθος reprend la signification de “chemin”, mais seulement en ce qui concerne le bon chemin, celui qui est accompagné par la vérité, qui est appelé “persuasif”: πειθοῦς ἐστι κέλευθος (2.4). La troisième utilisation de κέλευθος (6.9) sera l’objet de notre analyse dorénavant.
Au fragment 6, après voir décrit “la condition humaine” des fabricants d’opinions (vers 3 à 8), la Déesse dit: πάντων δὲ παλίντροπος ἐστι κέλευθος. On a interprété, en général que cette phrase était une sorte de bilan ou de résumé de ce qu’on avait dit dans les vers précédents, et la plupart des analyses se sont limités à individualiser les auteurs auxquels Parménide aurait pu faire allusion, c’est-à-dire, les gens qui auraient parcouru ce κέλευθος παλίντροπος, mentionnés par πάντων. Les candidats qu’ont eu la préférence sont (a) tous les hommes, qui sont des “mortels”;28 (b) les Pythagoriciens et (c) Héraclite.29
Comme nous ne croyons pas que le génitif fasse allusion aux “mortels”, le choix d’un candidat pour πάντων n’est pas pertinent. En revanche, il faut dire quelques mots sur les personnages décrits, très méchamment, dans les vers précédents. Concernant les candidats possibles, nous hésitons entre les hommes en général et une branche non orthodoxe des Pythagoriciens, dont le siège serait Élée.30 Nous excluons la candidature d’Héraclite. En outre, il est étonnant que ses partisans ne se soient pas posé une question préalable: Parménide aurait-il pu connaître le texte d’Héraclite? Avant de donner une réponse affirmative à cette question, il faut résoudre le problème de la chronologie de Parménide et privilégier les dates que l’on pourrait déduire de la première partie du Parménide de Platon. Or, il est certain que cette date, qui aurait permis à Parménide de connaître Héraclite, est le résultat d’une fiction littéraire.31 En revanche, le témoignage d’Apollodore, recueilli par Diogène Laërce (qui, malgré son imprécision, est plus crédible que celui de Platon), place l’ ἀκμή des deux philosophes à la même Olympiade (la 69ème, années 504-501) (D.L. IX.1 et IX.23, ed. 2013). Selon Bernardo Berruecos Frank, la date de composition est elle aussi conjecturale.32 En réalité, la connaissance réciproque et simultanée de deux penseurs qui se trouvaient aux deux extrémités du monde grec, à une époque sans internet, est invraisemblable.33
Regardons maintenant quel rapport il y a entre κέλευθος et πάντων. L’antécédent de ce génitif peut être un mot neutre ou masculin, et le couple κέλευθος πάντων peut ainsi signifier aussi bien “le chemin de tous les hommes” (masculin), car dans les vers précédents il a été question des “mortels” (ou de certains mortels), comme “le chemin de toutes choses” (neutre pluriel), soit des “choses” en général, soit des “choses” en rapport avec les “mortels”, et, dans ce cas, on pourrait ajouter “leurs” choses. Cette position a été adoptée par Leonardo Tarán: “It seems preferable to consider πάντων neuter and therefore to take πάντων […] κέλευθος as part of the opinions of mortals”.34 Allan H. Coxon, en revanche, a écrit que “πάντων is masculine;35 the παλίντροπος κέλευθος of the philosophers criticised is contrasted with Parmenides’ journey to the region of light”.36
Comme Leonardo Tarán, nous croyons maintenant que πάντων est neutre, mais nous allons essayer de montrer que le mot ne fait pas allusion aux opinions des mortels mais à la totalité des choses concernées par le πειθοῦς κέλευθος de la Déesse. Peu d’auteurs ont remarqué que la particule δὲ de 6.9 suggère que l’expression πάντων δὲ est en opposition par rapport à ce qui vient d’être dit.37 Le sens originaire de δὲ, quand il n’est pas précédé par μέν, est “adversatif, expressing distinction, opposition” (L.S.J. 1968). Dans le Poème, il suffit de regarder les passages 1.13 (αὐταὶ δ’), 6.2 (μηδὲν δ’), 8.18 (τὴν δ’), 8.51 (δόξας δ’), 12.3 (ἐν δὲ), etc. Dans la description du chemin des mortels qui commence en 6.4 (... ἀπὸ τῆς..) c’est surtout l’absence de direction qui est soulignée et, en conséquence, le chemin opposé serait celui qui a une direction très précise. Les opinions mélangent être et ne pas être et le fait de ne pas distinguer l’un de l’autre (car ces hommes sont ἄκριτα) est la cause de l’errance de leur νόος. S’il en est ainsi, ce qui la Déesse dit à 6.9 s’oppose à ce qu’elle attribue aux mortels dans les vers précédents: les mortels “croient” qu’être et ne pas être sont la même chose et non la même chose; voilà l’axiome qui préside leur chemin; “en revanche (δέ, c’est à dire, contrairement à leur confusion) le chemin de toutes choses ramène au point de départ”. En effet, ce chemin a un but précis: le point où l’on a dit, quelques vers auparavant, que “ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι” (2.3), c’est-à-dire, “ἔστι γὰρ εἶναι, μηδὲν δ’οὐκ ἔστιν” (6.1b-2a). Ces mots résument le “cœur de la vérité”, car ils peuvent être compris d’une manière “circulaire”, εὐκυκλέος (cf. la vérité εὐκυκλέος de 1.29). Si la Déesse ajoute τὰ γ’ἐγὼ φράζεσθαι ἄνωγα c’est pour souligner que, même si l’apprenti-philosophe est parfois invité à réfléchir sur ce qu’elle a dit (notamment en 7.5: κρῖναι, mais aussi peut-être à 8.6) c’est parce que ce qu’elle vient de dire s’impose; on ne discute pas ce véritable décret divin. Bref, la dichotomie parménidienne est valable maintenant pour la direction des chemins: l’un a un but précis, car il doit rejoindre son point de départ, qui est le cœur de la vérité, tandis que l’autre est chaotique et errant.
Ce “chemin de toutes choses” qui doit rejoindre, d’une manière circulaire, son point de départ est le πειθοῦς κέλευθος (2.4). Le mot κέλευθος de 6.9 rappelle qu’il s’agit du même κέλευθος présenté en 2.4. Autrement dit: ce chemin, qui est le chemin qui persuade (il est πειθοῦς, c’est-à-dire qu’il respecte le but du Poème, qui a été écrit pour convaincre en persuadant) soutient que ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι (2.3), et ceci parce que ἔστι γὰρ εἶναι, μηδὲν δ’οὐκ ἔστιν (6.1b-2a). Cette formule, qui concerne tout ce qui est, car il n’est pas possible de ne pas être, est le seul chemin a retenir, et se déploie en πολλὰ σήματα au fragment 8. L’ensemble des σήματα constitue un discours (λóγος) qui, contrairement aux opinions, qui ne sont pas accompagnées par la vérité (οὐκ ἔνι πίστις ἀληθής, 1.30), est digne de foi (πιστόν, 8.50). Les opinions des mortels, en revanche, ne sont pas vraies (οὐ γὰρ ἀληθής ἔστιν ὁδός, 8.17-8) et la διακόσμησις qu’elles proposent n’est que “semblable” (ἐοικότα, 8.60)38 aux σήματα de l’ ἐόν. En fonction du schéma dichotomique de la pensé parménidienne, auquel nous avons fait allusion plusieurs fois, comme les opinions ne possèdent pas les σήματα de l’ ἐόν, elles ne sont pas des “étants” qui sont en train d’être (ὄντα). En effet, Platon a dû écrire le Sophiste pour aller au-delà de cette opposition entre ce qui est et ce qui n’est pas, et c’est ainsi que la notion de ἕτερον est née. D’autre part, la conséquente inexistence des opinions (donc, son absence du domaine de πάντα τὰ όντα) est confirmé par l’axiome duquel elles découlent: οὐκ ἐστι <εἶναι> τε καὶ χρεών ἐστι μὴ εἶναι.
Mais… que sont les opinions? Nous savons déjà qu’elles sont un produit humain, élaboré à partir d’une démarche menée à bien en dehors de toute méthode, conséquence d’un vagabondage du νόος, victime de ce que l’ “on dit” sur la réalité. Au début (fr. 8, vers 38 et 39), elles ne sont que des “noms” collés (καθέτεντο, 8.39) sur les choses, que les hommes croient qu’ils sont vraiment réels (πεποιθότες εἶναι ἀληθῆ, 8.39), mais quand la Déesse définit de manière détaillée leur statut elle dit que ces noms découlent des deux points de vue (γνώμας, 8.53) que les hommes ont établi pour nommer (ὀνομάζειν, 8.53) les choses, à savoir, la lumière et la nuit (et des synonymes). Et dans un texte connu aujourd’hui comme “fragment 9” on dit que si tout (πάντα, 9.1) a été nommé lumière et nuit, c’est parce que celles-ci, en fonction de leur pouvoir (τὰ κατὰ σφετέρας δυνάμεις, 9.2), leur ont donné ces noms. Le dernier vers du fr. 9 résume ainsi la situation: “hors d’elles, il n’y a rien (9.4)”. Enfin, le fr. 19 fait un rapport précis de la διακόσμησις produite par ces gens qui “ne savent rien”: “Ainsi sont nées les choses (τάδε) selon l’opinion (κατὰ δόξαν, 19.1), et elles sont présentes maintenant [...] Pour chacune les hommes ont établi un nom distinctif (19.3).
Dans cette présentation des opinions il y a un grand absent: (τὸ) ἐόν. La Déesse dit clairement que le λόγος concernant la vérité (ἀμφὶς ἀληθείης, 8.51), c’est-à-dire, la présentation des σήματα de l’ ἐόν, vient d’être présenté,39 et que, dorénavant (ἀπὸ τοῦδε), elle va s’occuper d’autre chose: les δόξαι. Selon le schéma dichotomique de Parménide (nous avons déjà dit que Platon n’a pas encore écrit le Sophiste), cet “autre” de l’être relèverai du non-être. Les mortels expliquent la réalité comme s’ils n’avaient pas remarqué que la lumière et la nuit, ainsi que tout ce qu’elles ont réussi à nommer (les noms distinctifs du fr. 19) devaient, d’abord, exister, c’est-à-dire, s’appuyer sur les σήματα de l’ ἐόν qui justifient qu’il y ait des ὄντα, parmi lesquels, certainement, la lumière et la nuit.
La preuve la plus évidente de l’absence d’être chez les opinions est la suivante: ceux qui les ont adoptées suivent un chemin non seulement παναπευτέα (2.6) mais aussi ἀνόητον (8.17). Si ce chemin ne peut pas être l’objet de la pensée c’est parce que “sans l’ ἐόν, grâce auquel40 il est énoncé, tu ne trouveras pas le penser (8.35-6)”. Ils ont “philosophé” comme s’il n’y avait pas d’être, comme si οὐκ ἐστι <εἶναι> τε καὶ χρεών ἐστι μὴ εἶναι. Ils ont ignoré ce véritable cri poussé par la Déesse: “Il faut exister absolument, ou ne pas exister du tout” (ἢ πάμπαν πελέναι χρεών ἐστιν ἤ οὐχί, 8.11).
Voyons maintenant l’autre côté de la médaille. En réalité, on peut résumer la philosophie de Parménide selon l’axiome opposé à celui des mortels: “ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι”. Tous les membres du pluriel πάντων de 6.9 respectent cet axiome, qui est leur raison d’être; les opinions en sont exclues, car, pour elles, il n’y a pas d’être. (Très probablement le pluriel de 7.2 ([οὐκ ἔστι] εἶναι μὴ εὀντα: “[il n’y a pas] des étants qui ne soient pas” reprenne le pluriel πάντων de 6.9.) Selon notre interprétation, πάντων est un génitif subjectif. Le παλίντροπος κέλευθος est le chemin de “tout”, mais de tout ce qui existe vraiment, car il représente la méthode qui permet d’expliquer la réalité, et pour cette raison au vers 2.4 il a été considéré un πειθοῦς κέλευθος, accompagné par le vérité. Il s’agit du κέλευθος “explicatif” de toutes choses.
Et nous arrivons enfin à notre sujet: un chemin πειθοῦς peut-il être un chemin παλίντροπος? Évidemment. Nous avons vu que la différence principale entre les deux “manières” d’expliquer la réalité était la présence ou l’absence d’un “chemin” à suivre ou a ne pas suivre, de l’attitude du “voyageur” et, enfin, du caractère de celui qui menait le jeu, c’est-à-dire, qui dirigeait le processus. Dans le cas de la “bonne” manière, le processus était accompagné par Thémis et Diké, régi d’abord par les Héliades, et, après, par la Déesse elle-même; le voyageur avait le droit d’entreprendre la difficile aventure parce qu’il était poussé par sa volonté; et, enfin, son voyage suivait un parcours net et précis (à différence de l’errance de Phaëton). En ce qui concerne la “mauvaise” manière d’avancer, les marcheurs n’avaient pas les ressources intellectuels nécessaires pour suivre un parcours distinct, ils sont ébahis (τεθηπότες, 6.7), ils sont traînés par l’habitude invétérée (peut-on dire “malgré eux”?) et, surtout, leur νόος divague et ils ne savent pas où aller: ils avancent sans direction, à l’aveuglette; leur chemin n’est pas παλίντροπος.
C’est surtout la précision ou l’absence de but à atteindre qui distingue le chemin πειθοῦς de la Déesse du sentier (πάτος, 1.27) des hommes. Nous venons de dire que le chemin suivi par les mortels n’est même pas un chemin; il est une dérive déboussolée, un parcours chaotique. Le κέλευθος de la Déesse, de l’homme qui sait… et de tout ce qui est, en revanche, est παλίντροπος. Il a une direction nette et précise, son parcours n’est pas aveugle: il doit revenir à son point de départ, qui est le même que sont point d’arrivée. La fin du chemin doit coïncider avec le début; autrement, il ne serait pas παλίντροπος, mais πολύτροπος, ou, comme nous l’avons suggéré, “ἐναντιότροπος”, comme celui des mortels. Presque au même temps que Parménide, Héraclite écrira que “dans le cercle, le principe et la fin est commun” (fr. 103). En effet, pour dessiner un cercle il faut suivre un chemin παλίντροπος; le cercle devient un cercle lorsque le dernier point de la tracée du compas rencontre le premier. Le parcours est prédéterminé. Or, cette circularité caractérise la vérité chez Parménide, qui est εὐκυκλέος (1.29),41 car le raisonnement parménidien est, comme disait Mario Untersteiner, une “composizione ad annello”:42la nécessité d’être suppose l’impossibilité de ne pas être, et l’impossibilité de ne pas être suppose la nécessité d’être. Nous trouvons ceci au vers 2.3 et en 6.1b-2a, qui, comme nous l’avons signalé, sont le noyau de la philosophie de Parménide.
Nous avons dit au début de ce travail que la citation que nous connaissons aujourd’hui comme fragment 5 est très explicite, et la présence de l’adverbe πάλιν aussi bien dans ce fr. 5 qu’au vers 6.9 justifie le lien qui existe entre les deux passages. Au fr. 5 c’est la Déesse qui parle —nous supposons—, et elle dit clairement que “il est commun (ξυνόν δέ) pour moi où (ὁππόθεν) je commence, car j’y reviendrai à nouveau (πάλιν)”. Sans aucun doute, celle-ci est une description de son παλίν-τροπος κέλευθος. À propos de ce fr. 5, Barbara Cassin —qui a une interprétation de Parménide assez différente de la nôtre—, a écrit ces mots, que nous partageons 100%: “Le point de départ de la Déesse, à savoir le ‘est’, loin d’être indifférent, est plutôt surdéterminé: il est début et fin, alpha et oméga, elle en part et ne cesse d’y revenir, puisqu’il est au début (‘est’) et à la fin du récit (‘l’étant’, à travers quoi ‘est’ se dit)”.43 Une traduction possible de 6.9 serait, en conséquence, “le chemin de toutes choses, cependant (δέ), est réversible”.44 On pourrait ajouter:… comme l’avait démontre la formule ἔστι γὰρ εἶναι, μηδὲν δ’οὐκ ἔστιν. Voyons d’autres traductions. Marcel Conche, par exemple, propose “revient sur lui-même”,45 Scott Austin traduit par “the route of all is backward-turning”,46 et Lambros Couloubaritsis a choisi “[il] est une voie qui va et revient sur ses pas”.47
L’axiome que nous considérons comme le noyau de la pensée de Parménide, “ἔστιν <εἶναι> τε καί οὐκ ἐστι μὴ εἶναι” (2.3), ou “ἔστι γὰρ εἶναι, μηδὲν δ’οὐκ ἔστιν” (6.1b-2a) est un exemple didactique du παλίντροπος κέλευθος. En effet, dans les deux cas, les deux formules, coordonnées par τε καί, son réversibles:48 l’une justifie l’autre, et vice-versa: le point de départ peut-être “ἔστιν <εἶναι>” et le point d’arrivée nécessaire “οὐκ ἐστι μὴ εἶναι”, mais on peut partir de “οὐκ ἐστι μὴ εἶναι” pour arriver nécessairement à “ἔστιν <εἶναι>”.49 Dans le schéma général du Poème, l’apprenti philosophe peut commencer par admettre la faiblesse et inutilité des opinions pour conclure qu’il faut adopter le πιστὸν λόγον concernant la vérité, ou il peut commencer par être persuadé par le discours vrai et rejeter ainsi l’ordre trompeur des mots qui expose les opinions. Dans tous les cas, comme on lit au vers 8.1, “un seul chemin reste comme récit (μόνος δ’ἐτι μῦθος ὁδοῖο λείπεται)”: le παλίντροπος κέλευθος dont les σήματα vont déchiffrer le coeur de la vérité. Et la vérité accompagne le πειθοῦς κέλευθος, qui est le πάντων παλίντροπος κέλευθος.